Le “goût”, une expérience multisensorielle

Les 3 sensibilités qui participent au goût sont :

Ces 3 sensibilités présentent de nombreux points communs : elles reposent sur un contact entre des molécules et des récepteurs et elles montrent une parfaite unité de fonctionnement au niveau du codage, de la mise en forme et du traitement de l’information sensorielle.

Depuis peu, les formidables progrès des sciences du goût ont permis de mieux appréhender l’ensemble de ces mécanismes. Grâce à l’identification des récepteurs (olfactifs d’abord, puis gustatifs), on comprend beaucoup mieux comment naissent les messages sensoriels à l’entrée du système.

Le cerveau et le goût

La gustation

À la surface de la langue, les papilles gustatives sont visibles à l’œil nu :

Il est aujourd’hui bien établi qu’une même papille répond à une multitude de saveurs. On peut donc reléguer au rayon des idées reçues l’hypothèse qui affirmait que certaines papilles répondent spécifiquement au sucré, d’autres à l’amer… etc. Cette donnée invalide aussi le schéma simpliste montrant que la pointe de la langue est sensible au sucré, les bords antérieurs au salé, les bords postérieurs à l’acide et la base de la langue à l’amertume. Ce schéma est d’autant plus faux qu’il n’existe pas une seule et unique carte de sensibilités gustatives : chaque goûteur possède sa propre carte de sensibilité. La seule donnée valable pour tous est que l’amertume est perçue plus fortement à la base de la langue (mais ce n’est pas la seule saveur perçue dans cette zone linguale).

Les papilles ne jouent pas de rôle direct dans la gustation mais renferment nos cellules gustatives rassemblées en bourgeons du goût et équipées de récepteurs gustatifs. Ce sont ces récepteurs qui offrent un site de liaison aux molécules sapides issues des aliments. D’une façon générale, ces récepteurs sont peu spécifiques, de sorte qu’une molécule sapide est compatible avec une dizaine de récepteurs distincts et qu’un récepteur peut se lier à plusieurs dizaines de molécules différentes.

Le codage d’une saveur repose donc sur l’activation d’une combinaison de récepteurs gustatifs. Cela explique qu’avec un nombre relativement limité de récepteurs (une cinquantaine), notre système gustatif puisse aisément détecter et différencier des milliers de saveurs.

Ainsi, contrairement aux idées reçues, nous sommes capables de percevoir beaucoup plus que les 4 saveurs de base : salé, sucré, acide et amer.

Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la saveur du sucre de table (saccharose) et celle d’un édulcorant. Les édulcorants présentent une saveur sucrée, mais qui diffère de celle du saccharose (ex : l’aspartame laisse un arrière-goût souvent qualifié de “médicamenteux“, avec une persistance en bouche plus longue que celle du saccharose).

De même, les substances amères, nombreuses dans le règne végétal, offrent différentes nuances gustatives : la caféine du café n’a pas tout à fait la même amertume que la naringine du pamplemousse, l’oleuropéine de l’olive ou les tanins du thé.

Et que dire de la saveur “umami” (terme japonais signifiant “délicieux“), qui ne ressemble ni au sucré, ni au salé, ni à l’acide, ni à l’amer ? Cette saveur est produite par le glutamate de sodium, substance naturellement présente dans de nombreux aliments (sauce de soja, parmesan, sardine, tomate, certains champignons…) et ayant des propriétés d’exhausteur de goût.

Pour résumer, si nous percevons une grande variété de saveurs, nous manquons de vocabulaire pour les nommer. Les termes “salé“, “sucré“, “acide“ et “amer“ doivent donc être considérés comme de simples points de repère dans le vaste univers des saveurs.

L’olfaction

L’organe de l’olfaction est une muqueuse comportant des cellules olfactives (environ 50 millions) dotées de récepteurs. Cet épithélium olfactif, plaqué au sommet des fosses nasales, occupe une surface de 3 à 5 cm².

L’olfaction intervient à 2 moments de la dégustation :

Pour bien percevoir une odeur, mieux vaut la flairer, en inspirant fortement. En effet, si l’on respire normalement, moins de 10 % des molécules odorantes atteignent la muqueuse olfactive. Leur passage est gêné par les cornets, structures volumineuses présentes dans les fosses nasales, et dont la fonction est de réchauffer et d’humidifier l’air inspiré.

En revanche, lorsque l’on flaire une odeur, l’air entre beaucoup plus rapidement dans les fosses nasales (à une vitesse de 10 m/s, au lieu de 5 m/s avec une respiration normale) ; les molécules odorantes ont alors suffisamment d’énergie pour contourner les cornets et atteindre l’organe olfactif : près de 100 % des molécules odorantes parviennent ainsi jusqu’à la muqueuse olfactive.

C’est-à-dire les molécules odorantes qui empruntent la voie rétro-nasale pour atteindre la muqueuse olfactive. La dégustation attentive d’un aliment montre que son odeur peut être assez différente de l’arôme, aussi bien en terme d’intensité que de qualité (c’est le cas pour des fromages très affinés, qui présentent une odeur puissante, animale, avec parfois des notes piquantes, puis des arômes plus doux, ronds et crémeux).

En effet, la mastication permet de libérer des molécules odorantes qui étaient peu perceptibles au nez et, la température à l’intérieur de la bouche, environ 32°C, facilite la diffusion des arômes. Cette comparaison entre l’odeur et l’arôme d’un même aliment rend la dégustation plus riche et intéressante car elle permet de mieux saisir toutes les facettes du produit.

L’olfaction rétro-nasale est une composante majeure du “goût“ : sans les arômes, le “goût“ serait spectaculairement appauvri.

C’est ce que nous expérimentons lorsque nous sommes enrhumés : la couche de mucus qui recouvre la muqueuse olfactive s’épaissit considérablement (son épaisseur passe de 30 à 300 µm) ; les molécules odorantes atteignent plus difficilement la muqueuse et les perceptions olfactives sont très atténuées. De façon plus dramatique, certaines personnes sont confrontées à une perte brutale de l’olfaction (ex : suite à un violent choc crânien, le nerf olfactif peut être sectionné et le cerveau ne reçoit plus de message olfactif) ; ces personnes ont beaucoup de mal à reconnaître des aliments qui leur étaient familiers et perdent une grande partie du plaisir de s’alimenter.

Comparé à d’autres espèces animales, l’Homme est très bien doté dans le domaine de l’olfaction : avec 347 gènes codant ses récepteurs olfactifs, il est capable de détecter des dizaines de milliers de molécules odorantes (le principe du codage des odeurs est le même que celui des saveurs ; c’est un codage combinatoire, puisqu’une odeur est représentée par une combinaison de récepteurs activés ; ceci explique d’ailleurs que le nombre d’odeurs perçues dépasse de beaucoup le nombre de récepteurs existants). En outre, le bulbe olfactif humain (1er relais de la chaîne olfactive) est l’un des plus développés du règne animal, en nombre de neurones et de connexions. Ainsi, le système olfactif ne limite jamais l’apprentissage des odeurs : l’homme a la capacité d’apprendre des odeurs nouvelles et d’enrichir son univers olfactif tout au long de sa vie.

Quant à la mémoire olfactive, elle résiste très bien au temps (bien mieux que la mémoire visuelle) : les odeurs inscrites en mémoire peuvent ressurgir avec une netteté étonnante plusieurs années plus tard, associées à une émotion, une personne, un lieu ou un épisode de notre vie.

La sensibilité trigéminale

Des sensations telles que le piquant (du poivre, du radis), le brûlant (du piment, du gingembre…), le rafraîchissant (de la menthe), le pétillant (des boissons gazeuses), le caractère irritant (de l’oignon) etc…, font aussi partie du “goût“.

Ces sensations sont dues à la stimulation du nerf trijumeau, qui innerve toutes les muqueuses de la face, notamment la cornée de l’œil, la muqueuse des cavités buccale et nasale. En effet, le nerf trijumeau se divise en 3 grandes branches, l’une allant vers l’œil, l’autre vers la cavité nasale et la troisième vers la cavité buccale. La sensibilité trigéminale est donc une sensibilité diffuse et n’est associée à aucun organe sensoriel différencié (comme c’était le cas pour l’olfaction et la gustation).

Actuellement, bon nombre de recherches s’intéressent à cette sensibilité trigéminale : elles nous apprennent par exemple qu’une majorité de molécules odorantes et de molécules sapides sont capables de stimuler les récepteurs du nerf trijumeau à forte concentration. Elles tentent aussi de mieux éclairer les interactions complexes existant entre le système olfactif et le système trigéminal (la stimulation du trijumeau affecterait la sensibilité olfactive, en mettant en jeu des mécanismes à la fois périphériques et centraux).

Ainsi, le “goût“ est réellement une sensation intégrée, sollicitant à la fois le système gustatif, le système olfactif (perception des arômes par voie rétro-nasale) et le système trigéminal.

Et à toutes ces informations viennent encore s’ajouter des informations visuelles, tactiles, thermiques et auditives, qui complètent et enrichissent l’image de l’aliment dégusté.

Sensibilité trigéminale